“Dbibina” : Monsieur-Moulay nous revient avec son marronnier
Imad Lakbir | 14:20 – 30 novembre 2024
Dbibina commence sa journée en ouvrant son dictionnaire pour vérifier le sens du mot ‘’marronnier’’. Pour le Robert, il s’agit d’un ‘’sujet rebattu qui reparaît régulièrement’’, et pour l’Académie française, c’est encore plus clair : un marronnier est un ‘’ thème récurrent traité périodiquement par les médias lors d’une actualité faible’’. Et Dbibina conclut pour lui-même que ce qui est valable pour le monde médiatique l’est aussi pour celui des livres et des idées. Sauf que ce n’est pas l’actualité qui est faible mais la réflexion elle-même.
Dbibina a fait cette démarche de vérification après être tombé, comme tombe un marron d’un marronnier, sur le dernier livre de Moulay Hicham, ou Hicham Alaoui comme il se fait appeler depuis quelques années. Ce livre porte le titre de ‘’Islam et démocratie’’, et pour faire bien et surtout faire la différence avec tous les autres écrits sur le même sujet avec le même titre – et il y en a beaucoup –, l’auteur ajoute ‘’Comment changer la face du monde arabe’’. Voilà le programme !
Depuis qu’il a décidé de s’exiler aux ‘’States’’ voici plus de deux décennies, Moulay Hicham ou Monsieur Hicham Alaoui, comme il lui plaira, a fait de ce thème une marotte, un marronnier décliné de toutes les façons possibles et imaginables. Après, c’est le parcours classique des plateaux télé, où France 24 figure toujours, ou presque. L’homme vient sur le plateau, répond aux questions qui lui sont posées, prend toujours le temps de réfléchir, comme si sa réflexion était à étages multiples, un pour lui, un pour les téléspectateurs non marocains, un pour les Marocains et un autre pour ses employeurs américains (n’allons pas loin, l’employeur est juste ces universités Berkeley ou Princeton qui l’emploient alternativement).
L’homme est tellement opaque que quand on le présente dans les médias, constate Dbibina, c’est bien plus comme ‘’cousin du roi Mohammed VI du Maroc’’ que comme auteur prolifique, théoricien accompli ou penseur décisif. On dit aussi de lui qu’il est l’un des meilleurs connaisseurs du monde arabe, sans que personne ne définisse jamais ce ‘’monde arabe’’, composé de plusieurs pays eux-mêmes formés de plusieurs strates de communautés n’ayant en commun que l’usage d’une langue arabe partout déclinée en dialectes plus ou moins différents. Les vrais spécialistes du ‘’monde arabe’’ existent pourtant, mais ils se font discrets, comme le font les vrais spécialistes qui n’ont d’autre intérêt que leurs recherches.
Cela dit Dbibina relève quand même ce génie consistant toujours à dire la même chose avec des mots différents. En gros, constate Dbibina, le monde change, le monde arabe évolue, mais la pensée du Monsieur ne varie pas. Cette fois, il reparle donc d’autoritarisme des chefs d’État arabes, des attentes de leurs sociétés, de la nécessaire démocratisation etc etc etc… Puis il y a eu les printemps arabes, une période qui a donné du souffle et inspiré notre homme : enfin, se disait-il, les pays arabes vont accéder à la démocratie, cette fameuse démocratie à l’occidentale.
Moulay tourne en rond
Dbibina reste sceptique. Comment, s’interroge -t-il, un homme aussi instruit que Monsieur ou Moulay peut-il penser que les arabes, qui ne sont pas occidentaux, peuvent bâtir des systèmes institutionnels occidentaux ? C’est peut-être pour cela qu’il tourne en rond depuis trente ans. Et il tourne d’autant plus en rond que cette démocratie occidentale dont il se fait le grand défenseur n’existe tout simplement pas, ou plus, ou presque. Sauf à considérer, se dit Dbibina, que placer au pouvoir un homme qui veut être dictateur un jour, désigner un gouvernement parmi une minorité, faire passer des extrêmes droites un peu partout ou changer de gouvernement tous les six mois est un signe de démocratie.
Sur France24, Monsieur le chercheur ou Moulay l’intellectuel pense que ‘’les islamistes ou les laïcs ne peuvent être des supplétifs au pouvoir, ils doivent être des parties prenantes à part entière d’un processus de démocratisation ; ils doivent vivre sous l’égide d’une monarchie morale mais pas sous le pouvoir coercitif d’une institution tutélaire’’. Dbibina plonge alors dans une profonde réflexion sur ce qu’est une ‘’monarchie morale’’, mais relève que l’auteur/chercheur/intellectuel admet que le PJD était très satisfait de sa phase passée à la tête du gouvernement. Là où le raisonnement du Monsieur cloche un peu, c’est quand il hésite, bafouille un peu et hésite avant de décrire le gouvernement actuel en Israël qui, dit-il ‘’mène une politique très très très très très reprochable, critiquable à l’égard des palestiniens’’. Dbibina compatit alors au désarroi de Moulay/Monsieur qui vit aux Etats-Unis et qui ne peut vraiment dire ce qu’il pense sur le gouvernement israélien et son chef, très largement critiqués et même condamnés dans le monde, même en Europe.
Il est vrai qu’en résidant aux États-Unis, il est plus simple et plus profitable de taper sur les ‘’pays arabes’’, sur les monarchies arabes qui avancent à leur rythme que sur Israël, malgré les tragiques événements qui se déroulent sous les yeux du monde. Moulay/Monsieur se dit être en désaccord avec le fait de traiter avec le gouvernement israélien, mais il n’ose aller plus loin que le ‘’très très très très très critiquable’’ gouvernement israélien pour expliquer pourquoi.
Globalement, l’analyse du chercheur/intellectuel reste réchauffée, en cela qu’il continue de penser que les systèmes politiques arabes se sont durcis en raison des attentes non satisfaites des populations, qui conduisent les dirigeants à se montrer répressifs. Que c’est simple, simpliste même, pense Dbibina. Pas un mot des mutations géopolitiques et idéologiques en occident, pas un mot sur les relèves générationnelles dans le monde en général et dans l’espace arabe en particulier, pas un mot sur le levier revendicatif que constitue la révolution numérique. Rien, Moulay/Monsieur reste sur ses clichés très très très très très anciens de l’antagonisme politique/société, décliné sous le prisme de ses amies les ONG Freedom House, Amnesty, HRW, RSF et les autres.
Dbibina conclut alors une chose très simple : bannir de sa bibliothèque les écrits du prince banni et se contenter de l’émission de France 24 pour s’éviter le mortel ennui de lire le livre de Monsieur/Moulay.